Il y a dans ce mix quelque chose d’une conversation avec l’histoire. Une histoire qui commence dans les clubs de Chicago et de New York au début des années 80, quand les DJ recyclaient des disques disco oubliés pour en tirer de nouvelles pulsations, plus sèches, plus répétitives. Et quarante ans plus tard, ce même battement, ralenti, filtré, poli, continue de résonner. Ici, Gabriel Bouvet signe un set dense, cohérent, presque organique, qui reconnecte les lignes brisées de la house à travers ses multiples branches — soulful, deep, jazzy ou minimale — sans jamais céder à la nostalgie.
L’ouverture, avec Julius Papp, installe immédiatement le décor : la côte Ouest américaine et sa tradition house plus solaire, nourrie de funk, de disco et de jazz. Papp, figure historique du mouvement californien, longtemps associé à King Street ou Nervous Records, a su faire groover la house sans la durcir, en y injectant cette sensualité propre à San Francisco. Il passe ici le relais à Kevin Yost, originaire du Maryland, musicien de formation jazz, dont le son feutré et percussif — celui de l’époque Small Town Underground sur I! Records — a marqué toute une génération. Yost, c’est la preuve qu’on peut être à la fois producteur, batteur et conteur : il fait parler la rythmique comme un instrument à part entière.
La transition vers Villes Wax est subtile : c’est le glissement vers l’Europe. Producteur français au sens du détail précis, il incarne cette génération qui a assimilé les codes américains pour en tirer une deep house plus aérienne, plus harmonique. Le morceau choisi, sans doute extrait de son propre label Villes et Fleurs, fait respirer le mix. L’énergie ne baisse pas, elle s’épure. Puis entre Lea Lisa, une autre figure de la scène française, à la fois DJ et productrice, dont le travail — souvent signé sur Wolf Music ou Phonica — a cette élégance discrète qui rappelle les grandes heures du deep des années 2000. Sa sélection est toujours habitée par le sens du groove, mais un groove qui sait se taire quand il le faut.
Le mix enchaîne ensuite sur DJ Jeroens, Fredrik Stark et Gamat 3000 : un triptyque qui pourrait presque résumer la mutation de la deep house européenne. Le premier évoque une certaine rigueur rythmique nordique ; le second, une légèreté presque scandinave ; et le troisième, duo allemand actif à Leipzig dans les années 90, représente le lien entre les minimalistes de Berlin et les soulfuls de Détroit. Leur son, publié notamment sur Freude Am Tanzen, a cette chaleur analogique qui sent encore le vinyle pressé à la main.
C’est là que le set bascule vers une autre teinte, plus breakée : Alex Reece, l’un des pionniers du drum’n’bass britannique, fait ici figure d’héritier paradoxal. Son titre culte Pulp Fiction (1995) a beau appartenir à la jungle, il partage avec la house le même ADN : un amour du sample et de la syncope. À sa suite, un flash rétro : Freeez, groupe londonien de jazz-funk, puis Spiritchaser, projet anglais qui a su marier spiritualité et groove dans la lignée des labels Hed Kandi ou Soulfuric. C’est tout un pan de la soul britannique qui remonte à la surface.
Puis, sans prévenir, la basse se tend. Bac 2 Earth ouvre une parenthèse plus moody : un retour aux textures analogiques, aux pads brumeux. On sent poindre cette esthétique du « deep late 90s » qui devait beaucoup aux clubs de New York. Le relais est pris par DJ Mark Grant, légende de Chicago, un de ces discrets artisans de la house garage, compagnon de route de Cajmere et Glenn Underground. Sa touche, c’est l’humanité du beat : pas de froideur numérique, toujours un détail jazz ou une voix gospel au détour d’une boucle.
Et c’est justement DJ Deep qui s’invite ensuite, comme un trait d’union. Depuis Paris, il a bâti un pont entre Chicago et la scène française : fondateur du label Deeply Rooted House, passeur infatigable, il est de ceux qui ont su préserver la rigueur originelle tout en revendiquant la sensibilité européenne. Chez lui, la deep house n’est pas une formule, c’est une éthique : un art du mix lent, réfléchi, qui n’a pas besoin de prouver qu’il danse.
Le tempo se resserre avec Lovebirds & Vincenzo, duo berlinois signé sur Dessous Recordings ou Defected. Ils incarnent la nouvelle élégance allemande : des basses rondes, une chaleur presque baléarique, et cette science du groove qui refuse la froideur techno. On pense parfois à Larry Heard, mais réinventé pour les clubs de Kreuzberg.
Puis vient Dennis Ferrer, pivot historique de la house new-yorkaise. Fondateur du label Objektivity, il a remis la house au centre du jeu dans les années 2000, sans jamais céder au clinquant EDM. Ses tracks — de Hey Hey à Son of Raw — ont cette architecture parfaite : des breaks maîtrisés, une tension sexuelle dans la rythmique, un sens du drama hérité du gospel. Il est l’un de ces rares producteurs capables de séduire les puristes comme les foules.
Mario Basanov, lui, amène l’Europe de l’Est dans la danse. Producteur lituanien, moitié du duo Mario & Vidis, il injecte dans la deep house un spleen froid, presque cinématographique, qu’on retrouve sur Needwant ou Silence Music. Puis arrive Nathan Melja, jeune Parisien du label Antinote et de Technicolour (Ninja Tune), symbole d’une génération qui floute les frontières entre deep, techno et electronica. C’est une house moins fonctionnelle, plus contemplative, mais toujours traversée de groove.
Enfin, pour clore le cercle, Glenn Underground, véritable patriarche. Chicagoan pur jus, figure de Cajual Records et fondateur du collectif Strictly Jaz Unit, il incarne la quintessence de la house : celle où le jazz, le funk et la spiritualité s’entrelacent. Chez lui, chaque track est une conversation entre la basse et le Rhodes, entre la foi et le club. Et c’est à ce moment précis que le mix semble se refermer sur lui-même, ramenant tout à la source.
Les dernières touches — YDIW et RDNY, jeunes pousses de la scène actuelle — rappellent que la deep house n’est pas qu’un héritage : c’est une matière vivante, sans cesse réinventée. Dans leur musique, on retrouve les échos de tous les précédents : le funk de Papp, la sophistication de Yost, la précision européenne de Gamat 3000, la mélancolie de Basanov.
Au final, ce mix agit comme une cartographie : il ne cherche pas à illustrer la House, il la raconte. On y entend les clubs enfumés, les 909 fatiguées, les MC de fortune, les vinyles usés, mais aussi les laptops modernes, les scènes d’aujourd’hui, les streamings nocturnes. Il rappelle que la House, au fond, n’a jamais été une question de BPM, mais d’intention. Et ici, l’intention est claire : faire résonner le groove comme une mémoire collective, toujours vibrante, toujours mouvante.
🎶 Bonne écoute.
🎶 Écoutez dès maintenant et laissez ces artistes vous transporter dans un univers sonore unique. Ce n’est pas qu’un mix, c’est une aventure musicale.